souffrent de la cherté de leurs propres livres, puisqu'il est constant
qu'elle diminue le profit qu'ils y pourroient faire.
Aussi combien voit on des libraires a Paris faire une fortune
raisonnable, ou plutost combien ne voit on pas qui ont ruiné leurs
familles ? on ne peut pas juger des facultés de ceux qui vivent
cinq ou six entre cent paraissent riches; s'ils le sont on le dira
quand ils ne parleront plus. Mais depuis 50. ans un seul est
mort riche, et presque tous les autres dans la pauvreté ou avec
tres peu de bien. Ce seul riche est Pierre Le Petit, qui apres son
travail de 50. années le plus assidu, mais le plus heureux
qu'on puisse souhaitter, a laissé deux ou 300 mille livres a
ses cinq enfants. Peut on dire que ce soit la une fortune en
comparaison de celle que font ordinairement les marchands de soie,
de draperie, d'epicerie et d'autres. Cependant c'est la plus considerable
qu'on ait encore veu dans la librairie de Paris, et elle y est connue
comme un prodige, et c'est une merveille sans exemple, qu'un
libraire dont toute la vie a eté accompagnée d'un travail & du
bonheur sans egal soit moins riche de 300000 l[ivres] – seulement au lieu que
parmi les autres marchands il est ordinaire d'y voir des fortunes
bien plus considerables mesme en dix ans de commerce.
Mais que penseroit on du malheur de cette profession si on consideroit
tous les tristes exemples qu'elle fournit de gens qui n'y ont pas
travaillé avec moins d'honneur et de capacité que d'infortune ? On en
pourroit faire un recueil aussi gros que celui du malheur des gens de lettres,
et il en seroit comme un supplement d'autant plus convenable
qu'il semble que la fortune se soit particulierement attachée a persecuter les
libraires qui se font les plus distinguez par le scauvoir, par les ouvrages
et par l'amour de leur profession. Mais pour ne pas renouveller ce douleur
de plusieurs familles dont les plaies sont encore recentes, on se contente
d'ajouter a ce qu'on a dit de Mabre Cramoisy l'exemple d'Antoine
Bertier dont on a deja parlé. Il avoit imprimé 48. volumes in
fol., entre autres la
Biblia Maxima en 19 vol., la
Biblia Magna en
cinq dont il avoit donné l'idée et et le dessein au P. De la Haye Cordelier,
le
Bibliotheca Cancionatoria Patrum en 8. volumes dont il avoit
fourni le plan au P. Combesis Jacobin, les
Memoires du Cardinal
de Richelieu en 3 vol., qu'il avoit recueillis et verifiez lui-mesme
sur les originaux et fait ecrire la vie de ce Cardinal par le Sieur
Aubery et plusieurs autres livres qui venoient presque tous de ses propres
lumieres. Apres qu'il eut imprimé tous ces grands ouvrages
il lui arriva par le malheur d'une guerre de perdre cinq ou six
mille ecus en Espagne, et y ayant eté ensuite faire un voyage,
il traita en repassant par Bordeaux avec le Père Gonet Jacobin
pour reimprimer sa
Theologie en cinq vol. in fol. sur laquelle il avoit